Du haut d’une grande maison par la fenêtre ouverte, je regarde le port immense. Au moins mille bateaux petits ou grands se reposent sur l’eau tranquille. Il y en a d’autres qui viennent et encore d’autres, qui partent vers des rivages lointains. Des bateaux viennent et s’en vont un changement perpétuel de drapeaux. Le nombre de bateaux reposant sur l’eau reste plus ou moins le même dans ce havre de paix.
D’où viennent ces bateaux ? Qui les commande ? Quelle est leur destination ?
Le savez- vous ?… Je m’étonne toujours.
Sur la grande scène viennent des acteurs et des actrices, des danseurs et des acrobates, des musiciens et des joueurs de tambours. Tout bouge…Une foire animée, bruyante, des visages et des formes en changement constant.
Qui reste, qui s’en va, personne ne le sait. Qui sont-ils ? Qui les dirige sur cette scène ?
Qui a inventé ce spectacle ininterrompu, qui a vu son visage ? Où est son atelier pour entraîner et former les comédiens, les danseurs, les artistes et les musiciens ?
Le Capitaine expérimenté dirige chaque bateau, chaque vaisseau spatial, chaque voyageur de l’Infini. Le long du ruban brillant, interminable du Temps, le ruban qui s’enfonce toujours dans l’avenir et perd son sillon à jamais dans le Néant passé.
Le Capitaine de chaque bateau, de chaque âme est le Seigneur unique, multiple, incalculable, Lui-même. Tout le drame, le cinéma qui se déroule est minutieusement,
instantanément organisé pour chacun et tous, merveilleusement coordonné. Tout marche et se dévoile comme prévu dès le commencement du temps.
Mais, qui a connu ce commencement ?.. Pas moi.
Il n’y a pas de naufrages, de bateaux noyés, cassés contre les rochers, perdus. Le Capitaine crée un bateau miraculeusement, en un clin d’œil, Il donne une forme à sa fantaisie, tantôt un poisson, puis un aigle, puis un cheval, puis un pilote d’avion.
Chacun, chaque être vivant porte son destin divin dans son âme.
Le Capitaine connaît chaque étape du grand voyage en unisson avec le reste de la création.
O mon âme, ne te lamente pas en regardant ce triste monde de violence et d’incendie, de mort et de déchirement. C’est un spectacle aussi grandiose qu’un magnifique coucher de soleil. Regarde avec émerveillement ! Est-ce un mirage, un délire ou une réalité qui nous dépasse de tous côtés! Chaque atome porte en lui son Capitaine qui connaît le port, plutôt les ports innombrables qu’il va visiter. Tout est minutieusement organisé dans les moindres détails. La fourmi qu’on écrase sous le pied, les mouches qui tombent du ciel, les corps des oiseaux gelés, les hommes et les femmes, leurs rires et leurs pleurs, leurs étreintes et leurs poignards ne sont que les coups de brosse d’un Artiste sur sa toile immense.
Où est le commencement, où est la fin, où est le milieu ? Où sommes-nous sur cet océan qui devance toujours notre bateau, qui fouille son secret ? A tous moments tout est là. Le passé, le présent et l’avenir se fondent dans l’instant. Une révélation paisible, saisissante…. Tout se tait dans une gloire sacrée…
Je regarde par la fenêtre le grand port aux mille bateaux sans jamais me lasser.
Tout est là de toute éternité. Un instant bondé de richesse mystérieuse, inépuisable.
Tout se tait… Mon âme s’agenouille devant Cela, Celle, si proche, si loin, si délicieuse, douce et tendre. Je ferme les yeux…. Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ?
J’ouvre encore les yeux, il n’y a plus de barrières, d’écran entre le dehors et le dedans.
Tout est en moi à jamais…Mais où est le moi à Moi ? Où est mon Moi ! Noyé à jamais, disparu dans le grand Moi qui seul vit et rit. Quel soulagement, quelle délivrance de ne plus exister nulle part, pourtant d’être enveloppé d’une tendresse infinie, souriante
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Niranjan Guha Roy